Par Gaby Dufresne-Cyr
Plusieurs années d’observations me portent à croire que la sociabilité est génétique, c’est-à-dire que l’on naît sociable ou non. Instinctivement la majorité des gens croient cette affirmation sans pour autant avoir de preuve scientifique à l’appuie. Ont-ils raisons? Je crois qu’oui. Dans ma pratique j’ai vu des chiens (Canis Familiaris), ayant reçu une socialisation adéquate, développer des troubles de comportement.
J’ai également travaillé avec des chiens, isolés pendant cette même période, socialement équilibrés. Dernièrement j’ai eu la chance d’observé quatre loups (Canis Lupus) socialisés. Trois d’entre eux étaient peureux et l’autre simplement craintif. Le loup craintif fini par m’approcher mais seulement après une longue période d’encouragement. Alors comment ce fait-il que la recette de la socialisation échoue?
La phase de socialisation du chien est bien connue des chercheurs et des intervenants canins. Elle fut introduite par John Paul Scott et John L. Fuller dans leur livre intitulé “Genetics and Social Behavior of the Dog” publié en 1965. Cette phase commence environ à la quatrième semaine de vie du chien pour se terminer vers la douzième. Nous savons également que négliger d’exposer le chien à des stimuli durant cette phase crée des lacunes au niveau de son développement.
Nous y reviendrons. Je ne remets aucunement cette théorie en doute, toutefois des questions me viennent à l’esprit. Si le chien naît sociable est-ce que le fait de constamment l’exposer à des stimuli peut créer des troubles comportementaux? Créons-nous des chiens hyper-réactifs en les envoyant systématiquement à la maternelle? Est-ce que le fait d’être continuellement placé en contexte social est positif ou négatif? Avant de répondre à ces questions voyons d’abord les recherches scientifiques explorant le gène de la sociabilité.
Les Recherches
En 1997 le Dr Anthony Wynshaw-Boris du National Human Genome Research Institute (É-U) découvre un gène responsable de la sociabilité chez la souris moustachue (Mus Musculus Musculus), une sous-espèce de souris de laboratoire sociable et reconnu pour l’entretient des moustaches d’autrui. Le gène étudié se nomme Ébouriffé et les souris provenaient d’un groupe dit knock-out. Les chercheurs ont trouvé trois versions de ce gène, soit Ébouriffé 1,2 et 3. Afin de connaître le rôle de ces gènes le Dr Wynshaw-Boris a retiré Ébouriffé-1 des souris moustachues. À son grand étonnement celles-ci grandissaient normalement, cependant, une fois adulte il constata que les souris avaient les moustaches mal entretenu. L’équipe se demanda pourquoi.
En observant de plus près ils notèrent une diminution de l’interaction sociale. Ils remarquèrent également que les souris avaient de la difficulté à éliminer les stimuli extérieurs et à se concentrer sur un seul stimulus. Ces mêmes comportements sociaux anormaux sont observés dans certains désordres psychiatriques humain tel que la schizophrénie et l’autisme. Contre toute attente ces souris génétiquement modifiées interagissaient, nidifiaient, dormaient et se toilettaient beaucoup moins. Visiblement quelque chose avait changé dans le groupe, les souris étaient devenues asociales. Le gène retiré était-il celui de la sociabilité? La conclusion de l’étude n’était pas claire. Cependant, les faits démontraient que l’interaction sociale n’y étant plus, leurs comportements avaient changé et ce gène en était responsable.
Quelques années plus tard, soit en 1999, les Dr Tom Insel et Larry Young de l’Université d’Emory (É-U) publient une recherche dans le journal Nature. L’étude visait à découvrir les mécanismes d’un neurotransmetteur responsable de l’attirance sociale et de l’intimité, l’hormone vasopressine. Cette fois les chercheurs créaient une souris en insérant le gène provenant d’une espèce de mulot des prairies (Microtus Ochrogaster) qui est reconnue pour sa sociabilité et fidélité. L’hormone vasopressine fut donc injectée dans une espèce de souris plutôt polygame et asocial. La nouvelle espèce transgénique démontre alors les mêmes comportements sociaux et grégaires que le mulot des prairies. Ce fut la première fois qu’un gène étaient identifié comme responsable de la sociabilité.
Un Géne Social
Là ne s’arrêtent pas les découvertes. En 2001 une étude publiée dans le journal Science démontre qu’un seul gène peut régulariser le comportement social chez la fourmi rouge (Solenopsis Invicta). Les chercheures de l’Université de Georgie (É-U) Michael Krieger et Kenneth Ross ont découvert le gène responsable de l’échange d’information permettant aux fourmis d’interagir socialement, une protéine nommé le Gp-9. Cette protéine fonctionne en permettant aux fourmis d’envoyés et recevoir des signaux olfactifs (phéromones) servant à reconnaître les membres de la colonie.
La découverte la plus extraordinaire fut publiée en août 2003 dans le journal Medical Genetics. Les chercheurs Teresa Doyle et Ursula Bellugi de l’institut Salk (É-U) en collaboration avec Julie Korenberger et John Graham du UCLA et Cedars-Sinai Medical Center de Los Angel (É-U) publient une recherche sur les enfants atteint du syndrome de Williams. Les enfants souffrant de ce syndrome ont une personnalité extrêmement extravertie et hyper-sociable. Ils ont également des problèmes cardiovasculaires, des caractéristiques physiques et faciales particulières et un certain retard mental. Les adultes, soufrant de ce syndrome, démontrent des capacités inhabituelles au langage malgré leurs habiletés cognitives réduites.
Le syndrome de Williams est rare, environ 1 personne sur 20,000 en souffre. Il est la conséquence de l’absence de vingt gènes provenant d’un chromosome situé sur la septième paire. Pratiquement toutes les personnes atteint du syndrome ont la même série de gènes manquants. Les chercheurs ont découvert que les enfants atteint du syndrome de Williams obtiennent des notes très élevées lors de test portant sur le comportement social. Ces testes incluent l’habileté à reconnaître les visages et les noms, le désir de plaire, l’empathie et la tendance à approcher un étranger.
Dans cette même étude il fut découvert qu’une enfant avait conservé un seul des 20 gènes habituellement absents. Après cette découverte ils étudièrent à nouveau les comportements de cette petite fille. Étonnamment elle ne démontrait pas les caractéristiques sociales extraverties des autres enfants atteint du même syndrome. Elle était plutôt introvertie, peu sociable et craintive des étrangers. Cela signifiait que la présence de ce gène altérait l’hyper-sociabilité typiquement observé chez les personnes atteint du syndrome de Williams. Les chercheurs conclurent l’étude en disant qu’ils ne savent pas si le gène impliqué à la régularisation du comportement social s’applique à la population générale ou simplement à ceux atteint du syndrome de Williams.
La signification des découvertes
Bien qu’elles ne soient pas concluantes les recherches démontrent qu’un gène ou une série de gène responsable de la sociabilité pourrait exister. Voyons maintenant les conséquences plausibles d’une telle découverte.
Ceci est un extrait de l'article parut dans le Passionnément Chien. Volume 3, Numéro 3 - Été 2005.